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08 mars 2011

Étouffer le débat démocratique pour faire baisser Marine Le Pen?

La perspective d'une qualification de Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle et surtout l'incertitude sur l'éventuelle configuration électorale (duel FN-UMP ou duel FN-PS) a déjà immanquablement lancé le débat sur la légitimité des candidatures non-UMP à droite et non-PS à gauche.

Or, toute candidature est sans doute légitime et même nécessaire au débat démocratique si elle se fonde sur un positionnement différent sur l'échiquier politique (exemple: François Bayrou au centre, c'est-à-dire ni à droite ni à gauche) et/ou sur un second choix idéologiquement différent (une alternative à droite à Nicolas Sarkozy, une alternative à gauche au candidat du PS). Bref, toute candidature à la présidentielle doit relever de divergences fondamentales et non d'une simple ambition personnelle. Dès lors, au nom de quoi un partisan de Jean-Luc Mélenchon ne devrait-il pas avoir le droit de voter pour ses idées au premier tour, puisque ce ne sont pas du tout celles, par exemple, de Dominique Strauss-Kahn? Au nom de quoi un partisan de Nicolas Dupont-Aignan ne devrait-il pas avoir le droit de voter pour ses idées au premier tour, puisque ce ne sont pas du tout celles de Nicolas Sarkozy?

C'est d'autant plus vrai que le clivage droite-gauche ne correspond pas aux véritables clivages idéologiques. Bien que l'un soit à droite et l'autre à gauche, j'estime ainsi que Jean-Luc Mélenchon est sur les fondamentaux idéologiques plus proche de Nicolas Dupont-Aignan que de Dominique Strauss-Kahn, et réciproquement que Nicolas Dupont-Aignan est plus proche sur les fondamentaux idéologiques de Jean-Luc Mélenchon ou encore de Jean-Pierre Chevènement que de Nicolas Sarkozy.

Que pensez des autres candidatures potentielles, notamment celles d'Eva Joly, de Dominique de Villepin, de Jean-Louis Borloo ou d'Hervé Morin? Chacun jugera, mais tout le monde constatera par exemple que Jean-Louis Borloo et Hervé Morin ont été et sont toujours liés par la politique déterminée par Nicolas Sarkozy et conduite par François Fillon. C'est certes un peu moins vrai pour Dominique de Villepin (bien qu'il était encore l'année dernière membre du bureau politique de l'UMP), mais la capacité des anciens chiraquiens en général (Alain Juppé, François Baroin) et des villepinistes dissidents en particulier (Bruno Le Maire, Georges Tron, Marie-Anne Montchamp) à se dissoudre dans la sarkozysme ne serait-elle pas de nature à remettre en cause le qualificatif d'"alternative" accolé au villepino-chiraquisme?

Enfin, si avec "du gros rouge qui tâche" Nicolas Sarkozy peut rêver de ramener à lui d'ici au premier tour de la présidentielle de 2012 une partie des sympathisants de Marine Le Pen motivés par les thématiques sécuritaires et identitaires, la mission semble davantage impossible pour ceux motivés par les thématiques économiques et sociales: désindustrialisation et délocalisations, chômage et pouvoir d'achat, peur du déclassement des classes moyennes. Pas plus d'ailleurs que Dominique Strauss-Kahn ou que tout autre candidat également issu du "cercle de la raison" autrefois délimité par Alain Minc. Dans toute l'Europe, la montée des populismes d'extrême droite s'explique en effet surtout par le ralliement de la gauche au social-libéralisme; cette montée s'est d'ailleurs généralement effectuée au détriment de la gauche et non de la droite.

Bref, pour les partisans des candidatures uniques à droite et à gauche, il s'agirait de lutter contre l'alternative d'extrême droite à l'UMPS en délégitimant les alternatives de droite et de gauche à l'UMPS! Si Lionel Jospin a été éliminé au premier tour de la présidentielle de 2002, ce n'est pourtant pas à cause de la candidature de Jean-Pierre Chevènement: c'est à cause de la politique sociale-libérale menée par la gauche depuis 1983, qui a détourné d'elle une partie du "peuple de gauche". Le débat démocratique, c'est lutter contre ses adversaires politiquement et non mécaniquement (artificiellement).

Quand bien même cela empêcherait cette fois la qualification de Marine Le Pen au second tour, que faudrait-il inventer la fois prochaine? Une candidature unique UMPS dès le premier tour?

11 février 2011

Contre la critique du lepénisme au nom de l'antichristianisme

Henri Peña-Ruiz est une de ces vigies républicaines dont j'apprécie la prise de parole lorsque la laïcité est attaquée (notamment en lui accolant un adjectif: "laïcité positive", "laïcité ouverte", "laïcité raisonnée" … comme si la laïcité était "négative", "fermée" ou "irraisonnée").

Je suis pourtant consterné par sa tribune publiée le 21 janvier dans Le Monde. Que dit-il? Que "la conversion républicaine et laïque du Front national n'est qu'un leurre" parce que Marine Le Pen affirme que les principes de liberté, d'égalité et de fraternité sont issus du christianisme.

La lecture de ce texte me donne l'impression que son auteur avait en stock une tribune anti-catholique, et qu'il en a juste changé le titre et l'accroche afin de la soumettre à publication dans le contexte de l'actualité autour de Marine Le Pen.

 

Ce texte possède en effet deux grilles de lecture, dont l'amalgame est tendancieux – si ce n'est insultant – et contre-productif. 

 

La première grille de lecture pose la question suivante: la conversion républicaine et laïque du FN est-elle sincère?

Or, il me semble un peu court d'affirmer que Marine Le Pen n'est pas authentiquement républicaine parce que et uniquement parce qu'elle confère une source chrétienne aux principes républicains.

Dès lors, qu'est-ce qui permettrait de démontrer que "la conversion républicaine et laïque du Front national n'est qu'un leurre"? Il suffit tout simplement de lire et d'écouter ses dirigeants.

1) République indivisible? La présidente du FN assume et utilise l'expression discriminatoire "Français de souche", aux antipodes du principe républicain d'égalité entre tous les citoyens car opérant une distinction entre eux en fonction de leur origine (rappel: pour les démographes de l'Ined, le Français de souche est celui qui n'a pas au moins un de ses grands-parents immigré).

2) République laïque? La question est de savoir si Marine Le Pen défend sincèrement la laïcité ou si elle l'instrumentalise dans une logique du "choc des civilisations". Or, elle a elle-même répondu à cette question: "Il n'y a pas cinquante moyens de lutter contre l'islamisation de notre pays. Il y a soit la laïcité, soit la croisade. Comme je ne crois pas beaucoup à la croisade, je pense qu'il faut user de la laïcité qui n'est pas le laïcisme" (Présent, décembre 2010).

3) République sociale? Les précédents programmes du FN étant d'inspiration ultralibérale, la question est de savoir si la nouvelle orientation sociale-étatiste de Marine Le Pen est sincère ou non. Le nerf de la guerre de toute politique sociale, c'est la fiscalité: il conviendra donc d'analyser à la loupe la "révolution fiscale" que va présenter avant l'été Marine Le Pen. En attendant, que peut-on d'ores et déjà constater? Nouveau vice-président en charge du projet (et compagnon de Marine Le Pen), Louis Aliot a créé en mai 2010 Idées Nation, "club de réflexions, d'analyses et de propositions au service du projet et de l'action politique de Marine Le Pen". Or, parmi ses rares productions figure une critique de la "convention égalité réelle" du PS, critique sans ambigüité libérale et non sociale ("toujours plus d'État!", "dirigisme", "contre les locataires non pauvres", "toujours plus de dépenses!", "toujours plus d'impôts!", "la chasse aux riches"), ce qui, pour le moins, ne présage pas d'une future orientation sociale du programme de Marine Le Pen.

 

La seconde grille de lecture pose la question suivante: les trois principes de liberté, d'égalité et de fraternité dérivent-ils du transfert aux autorités séculières de valeurs religieuses?

Je trouve ce débat passionnant. Henri Peña-Ruiz y apporte sa pierre en répondant par la négative. Pourquoi pas, même si l'honnêteté intellectuelle commanderait sans doute davantage de rigueur et de nuance. D'une part, en ne confondant pas le christianisme (son apport philosophique) et l'Église catholique (le christianisme institutionnalisé en Occident). D'autre part, en ne plaidant pas uniquement à charge (l'inverse serait d'ailleurs tout aussi malhonnête).

Personnellement, je pense que le christianisme est bien une des sources, certes pas unique, des Droits de l'Homme et des principes émancipateurs consignés dans le triptyque républicain. Cela fait-il de moi un lepéniste? Cela disqualifie-t-il mon républicanisme? Oui, à en croire Peña-Ruiz…

 

Addenda
En 2004 avait été publié dans Le Monde Diplomatique un texte aussi que clair que brillant, dont voici la première phrase: "À propos des lois politiques, le curé Lacordaire a dit l'essentiel: ‘Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit’". Mais quel auteur a osé commencer un texte intitulé "Laïcité et égalité, leviers de l'émancipation" en citant un homme d'église? Réponse: Henri Peña-Ruiz! …

21 janvier 2011

FN nouveau: info ou intox?

Le blogueur corto74 (découvert via L'Hérétique) a lancé mi-janvier une chaîne en posant à des blogueurs la question suivante: "Au nom de quoi, l'UMP doit-il rejeter toute alliance avec le FN?"

Poser cette question, c'est à mon avis commettre une erreur chronologique.

Le FN de Jean-Marie Le Pen (qui a siégé aux débuts de la Ve République dans le même groupe parlementaire que Valéry Giscard d'Estaing) se réclamait d'une "droite nationale" et, dans les années quatre-vingt, développait sur le plan économique et social un discours libéral, antifiscaliste et antiétatiste. Entre le FN d'un côté, et la droite de gouvernement de l'autre, la différence - notamment sur les questions d'immigration et de sécurité - était bien plus une différence de degré que de nature. À une exception fondamentale près: les "dérapages" et les condamnation de Jean-Marie Le Pen, à l'origine du "cordon sanitaire" faisant obstacle à tout accord national entre la droite et l'extrême droite, malgré à l'époque les appels de pied du FN.

Le FN de Marine Le Pen est bien différent. Pour résumer, il ne fait plus du Philippe de Villiers puissance dix mais du Jean-Pierre Chevènement puissance dix, renvoyant dos-à-dos la droite (UMP) et la gauche (PS), c'est-à-dire l''UMPS" (davantage intello, Chevènement parlait en 2002 de "Janus bifrons libéral-social et social-libéral" ou encore de "système du pareil au même"). Dorénavant, la différence n'est donc plus une différence de degré mais - en particulier sur les questions économiques et sociales - une différence de nature avec l'ensemble des partis ralliés au "consensus de Bruxelles" (libéral, européiste et atlantiste). Hier, Jean-Pierre Chevènement voulait remplacer le faux clivage droite-gauche par un vrai clivage entre "républicains" et "libéraux"; aujourd'hui, Marine Le Pen veut remplacer le faux clivage droite-gauche par un vrai clivage entre "nationaux" et "mondialistes", ses accents nationalistes-révolutionnaires l'ayant éloignée et non pas rapprochée de la droite libérale.
Conséquence logique: contrairement à Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen n'envisage pas d'alliance avec l'UMP (qui, à l'inverse du RPR et de l'UDF autrefois, n'a donc pas besoin de se demander s'il doit rejeter ou non toute alliance avec le FN).

 

Reste à savoir si le nouveau positionnement national-républicain du FN est ou non sincère (Laurent Pinsolle soulève également la question). Je vous propose trois tests:

1) Le social-étatisme développé par Marine Le Pen dans son premier discours de présidente du FN (qu'un Jean-Pierre Chevènement ou qu'un Jean-Luc Mélenchon n'auraient pas renié) est-il sincère? Je suspecte que non. Nouveau vice-président en charge du projet (et compagnon de Marine Le Pen), Louis Aliot a créé en mai 2010 Idées Nation, "club de réflexions, d'analyses et de propositions au service du projet et de l'action politique de Marine Le Pen". Or, parmi ses rares productions figure une critique de la "convention égalité réelle" du PS, critique sans ambigüité libérale et non sociale ("toujours plus d'État!", "dirigisme", "contre les locataires non pauvres", "toujours plus de dépenses!", "toujours plus d'impôts!", "la chasse aux riches"), par conséquent en contradiction avec la nouvelle orientation affichée par Marine Le Pen. Il conviendra donc d'analyser à la loupe sa future "révolution fiscale", car la fiscalité est le nerf de la guerre de toute politique sociale.

2) La définition par le FN de l'appartenance à la communauté nationale va-t-elle se républicaniser? Question clef puisque, comme je l'ai déjà écrit, c'est dans cette définition que se niche le racisme d'extrême droite (depuis Charles Maurras dénonçant l'"anti-France": "Juifs, Protestants, Maçons, Métèques"). D'un côté, dès 2007 Marine Le Pen présentait la candidature de son père comme celle "débarrassée des spécificités religieuses, ethniques ou même politiques" (Le Figaro, 12/12/2006), réaffirmant encore aujourd'hui qu'elle ne possède pas "une vision ethnique de la nation" (Causeur, janvier 2011). De l'autre, elle assume l'expression discriminatoire "Français de souche", aux antipodes du principe républicain d'égalité entre tous les citoyens car opérant une distinction entre eux en fonction de leur origine (pour les démographes de l'Ined, le Français de souche est celui qui n'a pas au moins un de ses grands-parents immigré).

3) La laïcité: le FN doit encore prouver qu'il défend véritablement la laïcité républicaine et qu'il ne s'agit pas seulement d'un cache-sexe de l'islamophobie (la xénophobie dérivant alors de la couleur de peau - les noirs et les arabes - vers la religion).

 

En réalité, tout dépendra selon moi de la tonalité de la campagne présidentielle:

1) Si la thématique sécuritaire l'emporte: retour au FN version Jean-Marie Le Pen, c'est-à-dire à la droite de la droite, le principal concurrent de Marine Le Pen étant Nicolas Sarkozy pour séduire l'électorat sensible à cette thématique.

2) Si la thématique sociale l'emporte: éclosion du FN version Marine Le Pen, c'est-à-dire d'alternative à la droite et à la gauche, les principaux concurrents de Marine Le Pen étant les partisans comme elle d'une "autre Europe" ou d'une "autre politique" (les deux allant de paire), de Jean-Luc Mélenchon à Nicolas Dupont-Aignan en passant par Jean-Pierre Chevènement.
Dans cette hypothèse, la principale erreur du microcosme politico-médiatique parisien serait de maintenir le "cordon sanitaire" autour du FN non plus sur le fondement de ce qui fait la spécificité de l'extrême droite (dérapages, définition xénophobe voire raciste de l'appartenance à la communauté nationale) mais sur le fondement de la non-appartenance au "cercle de la raison" défini il y a déjà longtemps par Alain Minc. Bref, de jeter dans les bras de l'extrême droite (cf. l'évolution du blogueur Malakine) les 55% de Français qui ont voté en 2005 contre le traité constitutionnel européen. À moins qu'entre-temps l'Europe libérale et la "mondialisation heureuse" (encore Minc!) prouvent subitement leur efficience économique et sociale ainsi que leur compatibilité avec l'identité constitutionnelle de la France, à savoir la République indivisible, laïque, démocratique et sociale.

 

Enfin, il convient de souligner deux choses:

1) Marine Le Pen ne cesse de répéter qu'elle reprend tout l'héritage du FN (donc également ses composantes historiques et les dérapages de son prédécesseur).

2) La préférence nationale réserve en quelque sorte le nouveau "social-étatisme" du FN aux seuls Français, en excluant tous les étrangers (même en situation légale).

 

[Ajout: on vient de me signaler sur le blog de Jean-Luc Mélenchon un billet qui complète parfaitement mon analyse]

16 janvier 2011

FN: "marinistes" et "gollnischiens", le rapport de force

Le rapport de force au sein du FN (décomptes personnels pour le comité central et le bureau politique):

 

iPolitique.fr

 

iPolitique.fr

(conformément aux statuts du FN, Marine Le Pen a par ailleurs coopté vingt membres, dont dix candidats non élus de la liste de "marinistes")

 

iPolitique.fr

 

(je renonce à publier la liste des noms par ras-le-bol d'être pillé par Wikipédia sans être sourcé)

D'un Le Pen l'autre

Pour succéder à son père, les adhérents ont sans surprise élu Marine Le Pen à la présidence du Front national

 

En élisant Marine Le Pen par 67,65% contre 32,35% à Bruno Gollnisch, les adhérents du FN ont préféré la filiation biologique à la filiation idéologique. La nouvelle présidente du FN est en effet la cadette des trois filles de Jean-Marie Le Pen et de sa première épouse, Pierrette Lalanne. Dès l'âge de huit ans Marine Le Pen a été marquée par l'engagement politique de son père. Dans la nuit du 1er novembre 1976, une explosion criminelle (dont les auteurs resteront inconnus) fait s'effondrer l'immeuble de cinq étages où la famille demeure, villa Poirier dans le XVe arrondissement de Paris. Aucune victime n'est à déplorer, mais les enfants du président du FN - Marie-Caroline (née en 1960), Yann (née en 1963) et Marine (née en 1968) - sont bien entendu traumatisées par cet attentat.

La politique n'en aura pas fini d'interférer dans la sphère familiale de Marine Le Pen. En 1987, le divorce de ses parents est porté sur la place publique : sa mère pose nue dans le magazine Play-Boy et adhère un temps à un groupuscule dissident du FN. Nouvelle rupture au sein de la famille en 1998-1999 : sa sœur Marie-Caroline soutient avec son mari Philippe Olivier le "pu-putsch" de Bruno Mégret. Le couple quittera toutefois dès l'année suivante le MNR mégrétiste et, sans retourner officiellement au FN, appartiennent actuellement à l'entourage politique de Marine Le Pen.

Les filles de Jean-Marie Le Pen se sont engagés très jeunes en politique. La première campagne de Marine remonte à mars 1983 - elle n'a que 14 ans - pour soutenir son père aux municipales dans le XXe arrondissement de Paris. Elle-même sera pour la première fois candidate à une élection aux législatives de 1993, à 25 ans. Longtemps, ce n'est cependant pas Marine mais sa sœur aînée Marie-Caroline qui apparaît comme celle qui assurera la relève politique. Candidate dès les cantonales de 1985, Marie-Caroline Le Pen avait été élue au comité central à la 14e place lors du congrès de 1997. Alors que, devenue avocate pénaliste en 1990, ce n'est qu'en 1998 que Marine Le Pen s'investit dans le parti en quittant le barreau de Paris afin de créer et de prendre la direction du service juridique du FN. Cette année-là, elle exerce en outre son premier mandat électif, en tant que conseillère régionale du Nord-Pas-de-Calais.

C'est l'élection présidentielle de 2002 qui va révéler Marine Le Pen au grand public. Au soir du second tour, Jacques Chirac a été réélu face à Jean-Marie Le Pen (17,79% des suffrages exprimés). C'est elle qui est chargée de porter la parole du FN sur les plateaux de France 2 et de France 3. Comme son père le fit en 1984 lors de l'émission L'Heure de Vérité, celle qui avait terminé deuxième au concours d'éloquence du barreau de Paris montre ses talents médiatiques. "C'est papa réincarné", écrivait dès 1986 Jean Bourdier, écrivain et ami personnel de Jean-Marie Le Pen, dans National-Hebdo.

L'ascension de Marine Le Pen au sien du parti ne s'arrêtera plus. Au congrès de Nice, en 2003, elle n'avait été élue qu'à la 34e place. Au congrès de Bordeaux, en 2007, elle grimpe à la deuxième place, juste derrière Bruno Gollnisch. Cette fois, c'est elle la première.

Cette élection à la présidence du FN n'était pourtant pas joué d'avance, malgré le soutien de son père. Car Marine Le Pen n'a pas caché son intention d'être à l'origine d'une "révolution culturelle" au sein du parti d'extrême droite. "J'ai pris des risques pour faire évoluer l'image du parti, confie-t-elle dans le numéro de janvier du magazine Causeur. Avec le nom que je porte, j'aurais pu me couler dans le moule et brosser chacune des chapelles dans le sens du poil." N'hésitant pas, au contraire, à prôner durant la campagne interne une rupture avec "les cathos intégristes, les pétainistes et les obsédés de la Shoah" (sic). Reste à savoir jusqu'où ira cette rupture avec ceux qui constituent une partie des militants et de la clientèle historiques du FN.

Sur le fond, Marine Le Pen reprend l'essentiel des fondamentaux du lepénisme : lien entre immigration, chômage et insécurité; préférence nationale; rétablissement de la peine de mort; suppression de la double nationalité et du droit du sol (au profit du seul droit du sang); indépendance nationale et Europe des patries (à commencer par la sortie de l'euro). Mais, sur plusieurs points, elle a se démarque bel et bien de son père et de Bruno Gollnisch.

Tout d'abord, elle assume pleinement et accentue le tournant "plus étatiste et plus social" du FN, le discours antifiscaliste des années quatre-vingt ayant cédé le pas dans les années quatre-vingt-dix à la dénonciation de la "mondialisation ultralibérale". Elle a d'ailleurs choisi de s'implanter en 2007 dans une commune du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, Hénin-Beaumont. Au-delà des classes populaires, Marine Le Pen vise également dans la perspective de la présidentielle de 2012 les classes moyennes, fragilisées par la crise et en proie à une peur de déclassement social.

Ensuite, elle se réclame haut et fort des valeurs républicaines en général et de la laïcité en particulier. Des références aux antipodes de l'extrême droite réactionnaire et contre-révolutionnaire. Son récent parallèle entre l'Occupation allemande de 1940 et l'occupation de rues par des musulmans en prière était sans doute autant destiné à conquérir en interne les faveurs des ultras du FN qu'à draguer, à l'extérieur du parti, les défenseurs de la laïcité.

Enfin, sur la question clef de la définition de l'appartenance à la communauté nationale, où se niche le racisme d'extrême droite, elle semble hésiter. D'un côté, dès 2002 elle présentait la candidature de son père comme celle "débarrassée des spécificités religieuses, ethniques ou même politiques", réaffirmant encore aujourd'hui qu'elle ne possède pas "une vision ethnique de la nation". De l'autre, elle emploie fréquemment l'expression discriminatoire "Français de souche", aux antipodes du principe républicain d'égalité entre de tous les citoyens, distinguant ainsi les Français en fonction de leur origine (pour les démographes de l'Ined, le Français de souche est celui qui n'a pas au moins un de ses grands-parents immigré).

Quoi qu'il en soit, le but de Marine Le Pen (déjà la seule candidate FN à accéder au second tour des législatives de 2007) est de conquérir le pouvoir et non pas de simplement se substituer à son père dans son rôle tribunitien, provocateur et contestataire. De fait, un sondage CSA la crédite de 17 à 18% des intentions de vote (1). Un niveau jamais atteint par Jean-Marie Le Pen.

 

Laurent de Boissieu
La-Croix.com, 14-15 janvier 2011 (résultats officiels ajoutés le 16 janvier)

(1) Réalisé pour Marianne les 7 et 8 janvier 2011 auprès de 1 001 personnes.